
Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait (…)
(…) Le temps passe en thés brûlants, en propos rares, en cigarettes, puis l’aube se lève, s’étend, les cailles et les perdrix s’en mêlent… et on s’empresse de couler cet instant souverain comme un corps mort au fond de sa mémoire, où on ira le rechercher un jour. On s’étire, on fait quelques pas, pesant moins d’un kilo, et le mot „bonheur“ paraît bien maigre et particulier pour décrire ce qui vous arrive.
Finalement, ce qui constitue l’ossature de l’existence, ce n’est pas la famille, ni la carrière, ni ce que d’autres diront ou penseront de vous, mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l’amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible coeur. Nicolas Bouvier – L’usage du monde
„ … une lévitation plus sereine encore que celle de l’amour“, je ne l’affirmerai pas, mais ce qui est certain, c’est que nos voyages étaient sur le mode de „Mennesker mødes og let musik opstår i hjertet!“ : des êtres se rencontrent et une douce musique s’élève dans leur coeur ! (auteur danois fou). Car la musique était présente, toujours, partout. Âme du monde depuis le chant des étoiles venu des confins immémoriaux de l’univers, le rayonnement fossile, ondes lointaines de sa création, jusqu’au chant des baleines qui traverse pour un temps encore nos océans, du chant de la mère perçu par le foetus à l’écho infini des montagnes, des comptines fredonnées aux folies baroques, et toutes les musiques du monde glânées sur les chemins et qui nous ont si bien accompagnés dans nos périples, „elle lie les humains, vagabonde se riant des frontières, se mélange et se regénère sans cesse, et sans cesse nous enchante et nous sublime. La musique augmente notre espace intérieur, elle a le pouvoir de créer de nouveaux cieux, un nouvel espoir, sans elle, l’être humain est pauvre“ (Jòn Kalman Stefànsson, Le coeur de l’homme).
Ce sublime de la musique s’exprime pleinement dans ce contrapunctus 13 et cette fuga a 2 clav jubilatoires de l’Art de la fugue composé sur son lit de souffrance par le grand Bach :
Les peuples voyagent, les langues aussi. C’est sur le chemin qu’on les apprend le mieux, ce qui les différencie, ce qu’elles ont en commun, comment elles interfèrent les unes avec les autres. „Saviez-vous que le mot anglais rugby vient de la langue des vikings? Voulez-vous comprendre pour quelle raison due à leur langue les allemands ne se coupent jamais (enfin, presque jamais) la parole ? Vous plairait-il de faire une incursion dans tous les mots espagnols venus de l’arabe?“ Ces deux livres peuvent vous éclairer sur ces points, et sur bien d’autres. Je n’ai pas lu la „version“allemande, qui ne doit pas manquer d’intérêt, de même que la comparaison entre les deux manières de voir.
« Prenons soin de nos livres, ils sont notre bien commun » pouvait-on lire sur un mur de la bibliothèque de Kidal, au Mali, en 1988. Et l’inscription se poursuivait ainsi : »Un peuple instruit est toujours libre ». Nous voyageons dans nos livres qui nous font vivre et revivre la vie de nos semblables, d’au delà les frontières, les hommes qui vivent autour de nous, vont-ils bien, ont-ils mal, et pourquoi souffrent-ils, pourquoi ont-ils mal ? »
Les deux touareg sont venus à dromadaire chercher des livres avec lesquels ils repartiront vers leur campement : H2B, Stendhal, et Hugo bien sûr, et presque tous „nos“ grands classiques. Et dans une classe de l’école d’Hagel Hoc, pas très loin, toujours en pays touareg, les enfants lisent au tableau : morale / ce qui m’appartient / ce qui ne m’appartient pas. Résolution : je garde seulement ce qui m’appartient… et aussi : langage : le tam tam …. Vous avez dit Kidal, Adrar des Ifogha, dans le nord du Mali ?
Les livres sont autant d’incursions dans le vécu des peuples pris dans les tourbillons de l’histoire. Lire est la seule manière de nous rapprocher d’eux, celles et ceux que nous ne verrons jamais plus sont bien là, nous parlent et nous regardent . Les livres sont les clés de notre histoire et, partant, de la compréhension du monde d’aujourd’hui. Ils sont les jalons déposés pour nous par celles et ceux qui ont fait notre histoire.
L’espace francophone est une chance, une pépite irremplaçable, un champ de possibles ouvert comme une fenêtre sur le monde et notre avenir. L’histoire de la francophonie ancrée dans le passé colonial s’en libère, précédant les indépendances: l’Étudiant noir et le Mouvement de la Négritude expriment, crient, l’altérité dans la langue commune, celle du colonisateur qu’ils s’approprient pour en faire leur, notre bien commun, un espace d’échange et d’enrichissement mutuel, de solidarité et de développement.

Léopold, Aimé, Marie-Thérèse, Hampaté, Paul, Éric, Maryse, Leïla, François, Marguerite(s), Assia, Dany, Fatou, Albert, Shan Sa, toutes et tous les autres, gloire éternelle vous soit rendue ! Des autrices et des auteurs des cinq continents expriment leurs joies, leurs souffrances, leurs doutes, et nous racontent leurs vies dans des livres qui traversent l’espace et le temps. La littérature francophone est d’une richesse incomparable, un voyage qui nous apprend autant sur le monde que sur nous-mêmes. Notre langue est notre bien commun, elle porte notre mémoire, notre être ensemble.
Ces liens vous feront découvrir quelques étapes de ce voyage. (le lien Mare nostrum s’est délié à la suite d’une fausse manoeuvre. On retrouvera le texte sous le lien „vécus, expériences, émotions“, en attendant mieux.)
lumières haut-marnaises
Mare Nostrum
premiers pas au Maghreb
sur les traces de Nicolas Bouvier
vers l’ouest
vers le nord
Afrique mon Afrique
la boucle du Niger
la grande traversée
Congo, RDC, Guinée, Fouta Djalon, Casamance
la Russie
la Chine
avec les Gilets Jaunes