sur les ronds points de France

Contribution au mouvement des gilets jaunes

Jusqu’au bout avec les gilets jaunes

La victoire des gilets jaunes est éclatante comme la couleur des gilets, et son écho déborde largement nos frontières nationales, européennes et même celles de notre continent, au même titre qu’elle est l’écho d’autres luttes, grandes ou petites : la révolte du peuple algérien, femmes et jeunesse en tête, en est la plus belle démonstration, et elle n’est pas la seule, Kartoum et Hong Kong se soulèvent à leur tour, Moscou, Shrinagar, et aujourd’hui, dans une accélération dont l’histoire a le secret, toute une réaction en chaîne se dessine, sautant les océans, embrasant les continents. Haïti nous revient droit au coeur, Santiago, Buenos Aeres, Dakar, Le Caire se rappellent à notre souvenir, et d’autre sont encore à venir.  Cette victoire est a minima celle de la démocratie immédiate (sans médiation) et populaire, (et donc populiste dans la bouche et la tête – à défaut de l’esprit dont ils sont dépourvus – de ses détracteurs patentés par ceux qui les emploient à un tarif bien supérieur à celui correspondant à leurs réelles compétences, au mieux maigres). Elle est la victoire sur l’obscurantisme qui gouverne notre monde dans une fuite en avant s’accélérant sans cesse depuis 50 ans, notre défaite de 68 s’inscrivant dans le mouvement en ce qu’elle constitue le point de départ du processus de décomposition du monde dans sa forme la plus achevée, ce que nous n’avons peut-être pas compris alors. 68 fut bien l’année de la rébellion contre la guerre au Vietnam, du printemps de Prague, de la contre révo cult en Chine, de l’assassinat du pasteur King et des émeutes de la population noire de Los Angelès, d’Atlanta et d’ailleurs, de l’intensification de la guerre coloniale qui allait culminer l’année suivante à Londonderry en Irlande du nord, de la Place des Trois Cultures à Mexico, 300 morts à 3 semaines des JO, sprinters noirs poings levés sur le podium, de Dakar à Berkeley, de Berlin à Copenhague, avec Jimy, Janis, Jim et les autres dans les grands festivals : tout un monde se soulevait, et était réprimé. D’un mouvement l’autre (de nombreux GJ ont connu 68), du mouvement que l’on appelait déjà „des occupations“ (d’usines, de facultés, d’écoles, des médias de l’époque, de lieux de culture, etc…) à celui des occupations des lieux de circulation, ronds points, giratoires et autres péages, de même que chaque samedi des lieux symboliques du pouvoir et de consommation, mais aussi  de luttes populaires (Bastoche, Répu, …), il y a une continuité, sinon un écho, avec dans l’intervalle de temps ces 50 dernières années de luttes des peuples pour exister, survivre, se libérer du carcan des lois mortifères du marché s’imposant  avec ses régimes plus ou moins totalitaires, plutôt plus que moins au fur et à mesure que la résistance s’organise un peu partout sous la forme d’une révolution citoyenne, dans les pays surdéveloppés et ceux qui le sont le moins, surtout dans ces derniers d’ailleurs. Et puis l’horreur sous toutes ses formes toujours renouvelées : dictatures, famines organisées et émeutes de la faim sauvagement réprimées, crises sociales, guerres, massacres de populations civiles d’une grande cruauté pour le simple fait de se trouver là, jusqu’au génocide parfois, viol pratiqué comme arme de guerre, scandales d’état à répétition, empoisonnement de masse par une industrie pharmaceutique peu regardante sauf pour ce qui concerne ses dividendes, et c’est pire encore pour l’agrochimie, accidents nucléaires catastrophiques ou moins sérieux mais qui se multiplient de manière croissante du fait de l’obsolescence des parcs de centrales, avec toutes les conséquences sanitaires qui y sont liées ( un quart des victimes de Tchernobyl ne sont pas encore nées, pour ne pas parler de Fukushima, ou encore de tout ce qu’il se passe chez nous, dans la plus grande opacité), pollution galopante dans les villes et les campagnes, les mers et les océans, destructions irrémédiables du milieu naturel, condamnant la biodiversité, condition sine qua non de la vie sur terre, corruption gangrenant nos sociétés à tous les niveaux, véritable cancer de nos démocraties, travail de sape quasi permanent des cellules cancéreuses contre lesquelles le corps social s’épuise à lutter, à armes inégales, mais en même temps s’organise et donc se renforce, esclavage qui non seulement perdure mais se développe sous de multiples formes avec tous ses trafics d’êtres humains, d’organes …, déchêteries partout à ciel ouvert et dans nos océans, ce sont là des aspects non exhaustifs de l’échec piteux de l’économie libérale munie de moyens qui n’ont jamais été aussi colossaux, mais qui ne produit in fine que misère des peuples et destruction de l’environnement, pour un résultat qui se résume au dernier chiffre glaçant : 80% de l’enrichissemnt mondial produit en 2017, la valeur ajoutée par le travail, se sont retrouvés concentrés entre les mains du 1% des plus riches, puissants devrait-on dire. Cet essorage with no mercy des peuples et ce siphonnage éhonté de notre ressource de base, la planète Terre, cette surexploitation dans les pires conditions de pillage des ressources de ces pays anciennement colonies ainsi que les guerres d’extermination qui y sont liées, provoquent une crise migratoire sans précédent qui fait le lit de tous les nationalismes, extrémismes, fanatismes, replis sur soi, jusqu’aux pires fantasmes, et le plus abjecte, le terrorisme, toujours aveugle et dont les principales victimes sont les peuples. Cette misère sociale ne fait que grandir, malgré les vagues promesses des gouvernants remettant sans cesse à plus tard, c’est à dire sine die, la mise en oeuvre de mesures qui soient à la hauteur des défis lancés à l’humanité.

Mais les temps forts de ces luttes sourdes ou ouvertes, encore dispersées, se multiplient, étapes visibles d’une révolution citoyenne aux multiples facettes : sociale, solidaire, durable, équitable, porteuse d’avenir, en un mot démocratique. La crise des Gillets Jaunes nous rappelle cette réalité  pour exprimer de manière synthétique, pacifique et citoyenne cet impératif de changement radical de modèle de développement, et pas demain ou dans 3 mois à la suite du grand blabla genre grand oral de l’ENA dont ceux des ronds points n’ont rien à secouer, mais tout de suite, dans un vrai débat citoyen dont ils ont inventé le mode d’emploi, et qu’ils réinventent chaque samedi depuis le 17 nov.

Cette crise a ses racines profondes dans le fiasco (masculin de fiasca dans les verreries de Murano) de notre démocratie mise à mal par la privatisation, la confiscation de notre république, notre res publica, notre chose publique spoliée et dévoyée dans la corruption, protection sociale comprise, l’abandon de ce que l’on a appelé „l’esprit de la Résistance“, la République sociale de 1946 depuis longtemps tombée aux oubliettes, héritage liquidé par étapes successives par ceux-là mêmes qui s’en disaient il y a peu encore les héritiers et qui n’ont fait que se l’approprier.

Les racines récentes viennent, elles, du constat effarant de la situation réelle de notre pays (voir la rubrique actualités) et du pitoyable spectacle d’incompétence, de mépris et de suffisance donnée depuis 2017 par la classe politique, au service de qui on sait, y compris par ce jeune, et, du moins se croyait-il, christique, mais en fait caractériel, lider minimo qui promettait de renverser la table. L’une de ses premières décisions fut toutefois de mettre le couvert (un service à 500 000 balles quand même – on dit merci qui?) pour ses amis qui l’ont porté au pouvoir, qu’on les nomme bobos arrivistes,  petits marquis parvenus ou mignons de la rép. Il a mis la table aussi et d’abord pour les premiers de cordée, les ceusses qui s’évadent fiscalement, et qu’il vaut mieux laisser ne pas payer leurs impôt ici dans leur pays qui les a tant aidés à devenir ce qu’ils sont, sous peine qu’ils aillent ne pas en payer ailleurs (ceci dit, bon débarras !), les grands patrons du „caca rente“, et ceux des „gafe à“, et pas n’importe où, à Versaille svp – plus près de toi, mon roi soleil – en grandes eaux, en grande pompe et à grands frais, le tout pour nos pommes.  Bref, il a mis le couvert pour ce galimatia spectaculaire immature du France is back ridicule et prétentieux, qui n’est en fait qu’une invite à venir se servir dans le grand processus de privatisation de notre res publica : aéroports, bientôt routes nationales, barrages hydrauliques, centrales nucléaires, grandes entreprises publiques ayant assuré notre propérité, monuments historiques (Versaille leur est déjà compté), jusqu’à notre protection sociale elle même titrisée, l’état brade nos bijoux de famille pour payer les dettes de son train de vie exhorbitant, de sa corruption. On a fait de la com de chez com 2.0 la plus vulgaire, depuis le ridicule spectacle du gamin surjouant la verticalité, ou jouant avec d’autres gamins dans les jardins de son palais, s’appropriant ainsi la fête de la victoire en Coupe du monde, à l’affaire Benalla une semaine à peine plus tard – caramba! patatra! Benalla est passé par là ! – qui achève de révéler le niveau du personnage, celui d’un chef de faction, de clan, plus que d’un président en tout cas, éructant devant les siens : „Le seul responsable, il est ici devant vous, c’est oim, qu’ils viennent me chercher !“

Alors, ils l’ont fait, les Gilets jaunes, ils sont venus ils sont tous là sur les ronds points quelques semaines plus tard, on les a vu et on a entendu la rage des représentants du pouvoir central et de ses laquais, et ils ont vaincu en démontrant simplement que jupiter est nu, et bien seul, entouré de nuls, petits et gros, et qu’eux les Gilets Jaunes détiennent le bien le plus précieux, la fraternité, que rien ni personne ne peut venir leur prendre et seule à même de répondre aux défis de notre société mondialisée, à commencer par celui consistant à se réapproprier notre mémoire afin d’être en mesure de nous réapproprier notre présent et ainsi préserver les chances de survie de l’humanité. C’est bien là le moins, notre devoir envers les générations futures, à qui nous avons à rendre ce monde que nous ne faisons que leur  emprunter, comme nous le rappelle les peuples nomades, „le sel de la terre“, ceux qui ont semé la diversité sans laquelle le genre humain n’aurait pu se développer, ne saurait exister. Les peuples n’en sont plus à se demander s’ils doivent ou non aimer la liberté, ils doivent l’aimer, sous peine de disparition de l’humanité, de ce monde tel que nous le connaissons. Et beaucoup l’ont compris, pour qui il s’agit là de la „dernière manif“, non pas du dernier samedi …, mais bien de la dernière chance de faire bouger les choses avant la grande cata annoncée. Le pire n’est jamais sûr, mais il se rapproche : il ne s’agit plus d’être écolo, mais vivant, disait une pancarte de la manif pour le climat.

Gloire vous soit rendue, Gilets Jaunes, pour nous avoir montré comment réapprendre, en nous la réappropriant, la démocratie, qui ne s’use que si et quand on ne s’en sert pas, puis de la remettre en état de marche, mais de marche avant cette fois. Gloire vous soit rendue d’avoir redécouvert le terme qui résout la contradiction des deux autres : fraternité sans laquelle liberté et égalité s’affrontent dans une guerre sans fin de tous contre tous (ne cherchez pas, c’est du Bergson).

La victoire des GJ est double : avoir rendu visible ce qui était caché mais essentiel, à savoir la mise en coupe systémique de notre pays, mais aussi de l’Europe et du monde, par les technostructures qui sont au dessus de nos démocraties, technostructures supervisées elles-mêmes par ceux-là mêmes à qui le crime profite, le crime contre la dignité, le crime contre la vie, contre l’avenir, le crime contre l’humanité. Et d’avoir dit et redit que les principales et finales conséquences de cette mise en coupe du monde sont bien la destruction de notre environnement et la misère des peuples qui en découle. Ce qui se discute sur les ronds points et dans les manifs du samedi, le principal sujet de discussion à bâtons rompus, ce sont les mécanismes qui produisent cette misère, cette violence au quotidien, de même que la dérive non pas autoritaire mais déjà totalitaire qui l’accompagne. Une manifestante d’origine argentine nous rappelait samedi à Strasbourg que la France d’aujourd’hui prenait la voie de l’Argentine d’il y a 20 ans, mêmes causes mêmes effets que l’on peut constater aujourd’hui dans ce pays ruiné. C’est là leur deuxième victoire, à savoir la mise à nu du pouvoir affolé qui leur a répondu par tout l’arsenal des vieilles ficelles de la violence manipulée et instrumentalisée : casseurs que l’on laisse opérer impunément pour salir le mouvemement, répression aveugle et sans commune mesure avec les délits supposés (1800 condamnations à ce jour, 2000 à venir, 40% des peines prononcées sont des peines de prison ferme avec mandat de dépôt immédiat), accusations calomnieuses et amalgames de la pire espèce. Dans quel pays punit-on, et sans jugement, par amputation et éborgnement, pour des fautes que d’autres ont commises parce qu’on les a laissé les commettre ? Dans quel pays emprisonne-t-on en masse préventivement (plus de 5000 le 15.12, dont certains à … Nogent en Bassigny, à 300 km de Paris, des gardes à vue préventives pouvant aller jusqu’à 72 heures), pour la simple intention de manifester pacifiquement ? Dans quel pays punit-on de peine de prison aussi lourdes pour des délits somme toute mineurs en comparaison de ceux commis par nos gouvernants ? Dans quel pays un président sans expérience se permet-il de donner des leçons de sagesse à une vieille dame bousculée et gravement blessée parce qu’elle manifestait pacifiquement ? Dans quel pays un procureur de la république se permet-il de mentir „pour ne pas gêner le président“ ? Le rappel à l’ordre de L’ONU et de la Comm Europ aux DH ne s’est pas fait attendre, traité avec le même mépris que les revendications des GJ : manif de Genève devant le siège de l’ONU, pacifique, et accueil différencié : sympatique de la part des suisses, haineux de la part des émigrés fiscaux français, et on peut comprendre les seconds comme les premiers peuvent nous comprendre : ils ont encore la démocratie, et le pouvoir d’achat, et comme on dit en Afrique : l’argent ne fait pas (toujours) le malheur.

Une petite pause musicale ?
Cantate BWV 75, „Die Elenden sollen essen“ = les miséreux doivent pouvoir bouffer, merde ! … : si le grand JSB le dit par delà les siècles, les Gilets Jaunes ne le désaprouveront pas.

Que veulent-ils, les Gilets Jaunes, que disent-ils sur les ronds points ?

Quand on te dit qu’on veut pouvoir bouffer jusqu’à la fin du mois, c’est quoi le mot que tu ne comprends pas?

Vivre dignement de notre travail en France en 2018, c’est trop demander au président des ultras riches ?

L’enfer des pauvres est ce qui rend possible le paradis des riches, de notre Totor national.

Les riches nous coûtent un pognon de dingue !

Demain est annulé pour cause d’indifférence générale. (manif climat)

Partage des richesses que le peuple seul produit.

Nos désirs font désordre.

Les mauvais jours finiront quand tous les pauvres s’y mettront.

The chaud must not go on (manif climat)

Rêve général!

Ces phrases résument bien à elles seules le mouvement des GJ, mais ne l’enferment pas. Dans les premières, on exige la dignité de pouvoir vivre de son travail, d’élever ses enfants dans une société apaisée, une démocratie mature, dans la troisième et la quatrième, on dit simplement que c’est parce qu’on subventionne à fonds perdus les plus riches (14 milliards de niches fiscales qui ne profitent qu’à 9% des ménages les plus aisés, 100 milliards de manque à gagner pour les finances publiques dû à l’évasion fiscale, c’est bien là le noeud du problème, pour ne nommer que ces deux points), que pendant ce temps les plus démunis manquent de tout et que les territoires sont laissés à l’abandon. Dans les autres, émanant des plus jeunes, qu’on a déjà peut-être trop attendu pour inverser la tendance destructrice. Et BHL d’éructer,comme une certaine reine de France avant lui d’ailleurs, qu’il est révoltant que les pauvres osent se révolter contre cette république à laquelle ils doivent tout, et qu’ils doivent être punis avec la dernière sévérité pour cela, résumant ainsi l’effroi des classes dominantes et de leurs laquais aboyeurs, nombreux. Mais les petits clébards peuvent toujours japper, la caravanne des Gilets Jaunes, elle, chaque samedi, passe.

République n’est pas synonyme de démocratie, et encore moins la république confisquée. On a la république que l’on mérite et l’acte fondateur de la nôtre est la terreur et le génocide vendéen : « Il n’y a plus de Vendée, écrivait le général Westermann à la Convention en novembre 1793 après sa victoire de Savenay. J’ai écrasé les enfants sous les pieds de nos chevaux, massacré les femmes qui, au moins celles-là, n’enfanterons plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé … Nous ne faisons pas de prisonniers, car il faudrait leur donner le pain de la liberté, et la pitié n’est pas révolutionnaire ». Lire en parallèle Quatre-vingt-treize et Les chouans, la cruauté des belligérants, les tunnels succédant au boccage pour permettre de surgir au coeur des campements ennemis et alors, pas de quartier ! On peut lire aussi dans Pierre Sang Papier ou Cendre ce que décrit Maïssa Bey, l’enfumage dans les grottes des tribus berbères, ou encore Assia Djebar dans L’Amour, la Fantasia. On peut parler de Sétif en 1945, des 80 000 morts de Madagascar en 1946, en quelques semaines, retrouver aussi un certain discours dans les Aurès d’un certain jeune ministre de la République en 1954. Leïla Sebbar à la fin de La Seine était rouge fait dire à un policier : » Le 17 octobre 1961 , c’est un jour noir pour la police française. On peut dire Octobre noir … Parce que la Brigade fluviale, elle en a repêché des cadavres d’Algériens, et pas seulement à Paris. Combien ? On le saura un jour. Pas trois ou quatre, j’en suis sûr, des dizaines. On saura. C’est pas possible autrement. On saura. Dans quelques années, peut-être dix, vingt, trente ans … on saura. On finit toujours par savoir ». On peut lire aussi le polar de Didier Daeninckx Meurtres pour mémoire, et d’autres encore. À ce jour, on attend toujours la vérité. Qui était alors le préfet de police de Paris ?Vous avez dit le même qui a Bordeaux en 1942 envoya à la mort des centaines de familles juives ? Et qui fut ensuite un temps ministre de l’intérieur? La police française est républicaine, elle obéit aux ordres que l’état lui donne: raffler des familles juives, ou libérer Paris par exemple, ou encore nasser, gazer et matraquer des manifestants pacifiques dans leur immense majorité. C’est pour cette raison qu’il  faut nommer violence d’état ce que l’on appelle violences policières. On peut aussi évoquer pour mémoire 1871 et l’écrasement de la Commune de Paris par les forces de l’ordre de la république, aidées des prussiens. Quoi qu’on puisse en dire, la série du grand Karl „Les luttes des classes en France“, „Le 18 brumaire de Louis Bonaparte“ et „La commune de Paris“ éclairent dialectiquement ces moments cruciaux de notre histoire. 1948 et l’écrasement de la grève des mineurs, ces héros de la Libération qui avaient remis la France en marche, par un travail acharné, loué comme tel, et affamés deux ans plus tard par l’inflation, grève noyée dans le sang. Ils venaient de Pologne, d’Italie et d’ailleurs pour aider notre pays à se redresser, le socialiste Guy Mollet leur a envoyé les blindés dans les corons pour les en remercier. Les exemples de manquent pas : elle est belle et elle a bon dos, notre république !

Mais silence, le président va parler,  mon dieu, c’est ce soir à 20 heures, déjà! Que va-t-il encore nous inventer ?

Et puis non, car à 18 heures, les premières fumées, et à 18h49, le brasier. Et des millions ébahis, effarés devant Notre Dame embrasée, et immanquablement toutes les sottises possibles en direct ou non clamées: „Notre Dame, c’est la chrétientée attaquée !“ , archevêque de Paris, on rêve. „Après la semaine sainte vient le temps de la résurection!“, si si, du président en personne de notre très laïque république, laïcité à géométrie variable comme tout le reste apparamment, on ne rêve plus, et du même, mais bâtisseur cette fois : „tous ensemble, riches et moins riches, nous rebatirons Notre Dame“. Et tous les autres qui n’appartiennent à aucune de ces deux catégories chères à notre mini président, ils restent sur leurs ronds points et les bas côtés des routes? Et les litanies se succèdent, comme : „Après l’Arc de Triomphe, les Champs Élysées, aujourd’hui Notre Dame!“ , bonjour la mise en perspective, comme on dit dans ces cas-là … On invoque les mânes de nos vrais grands hommes, VH en tête, bien sûr. Alors, relisons Notre-Dame de Paris, non pas le music hall dont ce que nous sert petit jupi et sa cour n’est que la pâle copie, mais le roman, le vrai, le grand : la cour des miracles, le petit peuple fraternel et violent au besoin, la violence faites aux femmes, le destin tragique de la mère et de la fille, la bassesse de l’homme d’église le grand vicaire qui viole la jeune tzigane sans défense, la corruption des grandes familles de l’époque, l’affreux, le gardien du temple, le sonneur justement, les gibets de Saint Denis, et Notre-Dame au centre de toutes ces vies, ce soir décapitée mais debout, solide encore, fluctuat nec mergitur. Faire taire le choeur des récu- manipulateurs, et des pleureuses aussi, et saluer pour leur rendre hommage les femmes et hommes du feu, qui agissent avec courage et intelligence, sans quoi le pire serait arrivé, ce dont nos gouvernants devraient s’inspirer, j’ai bien dit „courage et intelligence“.

Alors, respect de notre histoire et de notre laïcité : avant d’être celle que nous avons connue jusqu’à lundi, ND fut le temple originel du peuple d’alors, les parisii, et une dizaines de temples sont empilés les uns sur les autres, point de départ et de convergence de nos routes, kilomètre zéro de notre nation, pourrait-on presque dire. Lieu de gloire de notre histoire, lieu de protection des plus démunis aussi, monument à la gloire du peuple qui l’a construite, siècle après siècle, de ses propres mains, chantée qu’elle est par Hugo, Sue et bien d’autres. Relisons Les Misérables, bonjour Cosette, Jean V et Gavroche agonisant sur les barricades que le peuple de Paris, – encore lui ! – avaient dressées. Paris outragée, … mais Paris libérée : le grand général qui reste debout, stoïc sous la pluie de balles, ce jour-là, sur le parvis arrosé par les derniers tireurs des toits alentour.

Notre monument bien aimé, nous le reconstruirons avec ou sans l’aide, plutôt sans, des ultras riches un peu vite appelés à la rescousse pour bien souligner que ça ruisselle bien quand il s’agit de notre patrimoine, de l’histoire de notre nation, tous symboles confondus appelés à la rescousse, Jeanne d’Arc et l’archange en personne, indécence supplémentaire affichée par le gamin de l’Élysée qui n’en est pas à une occasion près de s’auto contempler dans les postures du sauveur de la patrie, de l’Europe, que dis-je, du monde : à l’affiche ce soir, et presque tous les autres, super mario sauveur de la chrétienté, de l’orthodoxie libérale, du marché, et en direct svp!

On peut aussi à cette occasion évoquer l’autre église, la basilique en saindoux sur sa butte, en hommage à celles et ceux qui l’ont construite avec leur sang (des centaines de morts dans des fondations profondes d’une centaine de mètres), les communards, pour expier justement, raffinement suprême, leur crime d’avoir osé la Commune, autre temps fort et symbole de notre république la-ï-que. Alors, allons-y pour la grande passacaille qui nous meut et nous émeut :

Alors que nous propose-t-il, petit jupi, en conclusion des centaines d’heures de grand blabla, c’est quoi, l’évangile selon saint Manu ? Redécouvrir l’art d’être français ! Et c’est quoi, l’art d’être céfran ? Vendre des armes à l’Arabie-c’est-où-dites-c’est-là-mec, armes qui servent à massacrer des milliers de familles yéménites (oui, on sait : „l’industrie des armes fait vivre de nombreuses familles“… en France, comme le rappelait un syndicaliste du secteur) ? Aller spectacu-humblement s’agenouiller devant la tente d’un SDF (et lui laver les petons comme Jésus au mendiant ?) … qu’il laisse ensuite dans la rue (lui a-t-il au moins offert un petit féca?) ? Rappeler en passant qu’il en veut terriblement, oh la la! à son (ex ?) ami Benalla, mais que ce dernier reste présumé innocent (le couple agressé a bien été condamné à une amende de 500 euros), alors que les gilets jaunes d’aujourd’hui ne sont que foule haineuse, homophobe, antisémite, factueuse, même pas foule d’ailleurs, en nombre décroissant, comme cela est pété et répété depuis le début du mouvement ? Ou encore „remettre l’église au milieu du village, et même disons-le, de la république“? comme l’a osé sur un plateau de télémerde un imbécile patenté : Fillon en avait rêvé, saint Manu l’a fait. Et les bigots z’é les bigotes, comme dans la chanson de Jacques Brel, de Sens commun trop commun et autre Manif pour (presque, n’exagérons rien!) tous sont ressortis communier de concert des nuits entières, pas pour le fun, mais à genoux eux, dans un nuage non déclaré de particules de plomb, en plus. C’est tout ? Peut mieux faire. Alors, à propos de l’art d’être français, pourquoi ne pas s’arrêter un moment pour y réfléchir en compagnie de Marin Marais :

Tout est occasion de nous servir du symbolique cuit et recuit en veux-tu en voilà. Et le cirque recommence avec le 8 mai, plan fixe sur le visage grave, et mauvais, du chef devant la stature du général himself.  Il ne s’identifie quand même pas au géant, lui le nain en panne de tout ?… Hommage à peine deux jours plus tard aux deux soldats d’élite morts en héros en délivrant des otages, tout est bon à récup et prétexe à prendre la posture. Mais le symbolique ne produit que de l’irrationnel collectif donc dangeureux. On espère nous vendre de l’ultra libéral à la sauce ultra nationale, et cela ne sent pas bon: nous avons au contraire besoin de réalisme, de rationnel, pour sauver notre démocratie et, partant, ce qui reste à sauver de la planète. Et c’est précisément ce que veulent les GJ, à savoir remettre la démocratie au centre de notre république, pas l’église, eh ! petit, la démo.

Encore des mots de GJ :

Notre Dame des palettes (je l’aime, celle-là)

GJ, uniformes, unissez-vous! (on se parle beaucoup avec les forces de l’ordre au cours des manifs, c’est un contact quasi continu et qui n’a rien de haineux)

Éteins ta télé et enfile ton gilet !

Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles (Berthold ?)

Martinez, Lallement, la convergence des luttes (méchant pour Martinez suffocant dans les gaz et obligé de se faire exfiltrer, pour revenir plus tard le danger ( car il y avait danger) une fois passé.

Des couilles en or pour les plus riches, des nouilles encore pour les pauvres …, vulgaire peut-être, mais parlant.

Mais Achtung! Les gamins qui nous jouent le risible spectacle de gouverner comme des marionnettes le feraient sans doute mieux, tout le monde l’aura compris, ont eux aussi des patrons, autrement plus dangeureux. Mais bon, pas de pessimisme excessif, rien n’est joué.

Il faut quand même parler de cette belle manif du 1er mai qui aurait pu justement tourner au drame, manif qui à elle seule a montré, si besoin en était, que la stratégie actuelle du pouvoir aux abois, semble être de provoquer un drame du genre de celui de la rue Charonne en 1961 : tactique qui s’inscrit en 3 actes : nassage de la foule, gazage d’ycelle (il faudra faire analyser ces gazs suffocants et paniquants, très dangeureux pour les organismes, pas seulement des plus faibles), puis charge et matraquage, faisant courir un risque considérable à la foule ainsi nassée, compactée et étouffée, pouvant à peine respirer, de partir dans une panique incontrôlée et incontrôlable, suivi d’un piétinement, d’un écrasement meurtrier. Les quelques images vidéo parlent d’elles-mêmes, au départ à Montparnasse et à l’arrivée où justement s’est produite cette „attaque de l’hôpital“ par les manifestants, qui n’ont fait que chercher à se protéger de la violence et de la dangerosité extrème de la situation, par la seule issue possible, l’hôpital, toutes les autres étant barrées. On voit, mais pas très clairement, le départ des voltigeurs à moto qui étaient postés dans le périmètre même de l’hôpital, on les revoit ensuite passer et rejoindre l’autre partie de la manif, on voit le nuage très dense de gaz, le barrage quasiment infranchissable du cordon de véhicules bleu nuit et de gendarmes fouillant la foule au compte goutte, la bloquant ainsi dans la charge de travers de leurs collègues plus haut. La violence subie dans ces situations est extrème, comme on a pu aussi le constater quelques jours plus tôt place de la République, ou encore le 15 ou 16.12, sur la même place à l’arrivée de la manif climat, et dans de nombreux autres cas. Il faut vraiment faire très attention maintenant, tout dans les discours et les actes indique que le moment de cette tragédie est proche. Alors, dans ces moments-là, rester soudés, ne pas céder à la panique, aider les plus faibles à respirer, asperger d’eau les foulards, les yeux, protéger la foule, tâche dévolue aux jeunes gens et jeunes femmes vêtus de noir, mais pas que …, ce dont ils s’acquittent avec courage et efficacité en attirant à eux les charges et surtout en les bloquant autant que faire se peut, empêchant ainsi l’écrasement de la foule étouffant et étouffée.

Le mouvement des Gilets Jaunes est la mauvaise conscience de la société française fracturée, sclérosée par ses égoïsmes catégoriels. Il exprime le retour du négatif, la lutte des classes, complètement occulté par la course à la consommation et le chômage de masse subi comme une perte de dignité, chantage et calamité suprême, lutte des classes qui revient au grand jour dans une visibilité retrouvée, sur les ronds points et partout ailleurs. On trouvera dans le chapitre actualités un constat désabusé de cette fracture qui représente tout ce dont ne veulent plus les GJ et qu’ils expriment chaque samedi et sur les ronds points. Et comme nous interpelle le proverbe africain : „ qui s’endort avec le trou de balle qui gratte, se réveille avec le doigt qui pue“. C’est exactement ce qui arrive à la société française. Mais quand s’arrêtera le mouvement des GJ ? Jamais !!???. Eh oui ! Cela semble clair pour presque tout le monde, des deux côté du fossé qui irrémédiablement se creuse entre ceux qui veulent que les choses restent en l’état, et tous les autres. Pour les Gilets Jaunes, il s’agit bien de reconstruire sa dignité dans et par une fraternité retrouvée, revisitée, recréée.

„Les vraies réponses, ce sont les questions, et les vraies questions, c’est ce que chantaient les vikings pendant les tempêtes“, nous rappellait Romain Gary, peu avant son suicide, … et ce que chantent les gilets jaunes sur les ronds points et dans les manifs du samedi, et tous les autres de par le monde, a-t-on envie d’ajouter. Encore et toujours la zicmu.

à suivre ...