Afrique mon Afrique

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AFRIQUE

Afrique mon Afrique
Afrique des fiers guerriers dans les savanes ancestrales
Afrique que chante ma grand-mère
Au bord de son fleuve lointain
Je ne t’ai jamais connue
Mais mon regard est plein de ton sang
Ton beau sang noir à travers les champs répandu
Le sang de ta sueur
La sueur de ton travail
Le travail de l’esclavage
L’esclavage de tes enfants
Afrique dis-moi Afrique
Est-ce donc toi ce dos qui se courbe
Et se couche sous le poids de l’humilité
Ce dos tremblant à zébrures rouges
Qui dit oui au fouet sur la route de MIDI
Alors gravement une voix me répondit
Fils impétueux cet arbre robuste et jeune
Cet arbre là-bas
Splendidement seul au milieu des fleurs blanches et fanées
C’est l’Afrique ton Afrique qui repousse
Qui repousse patiemment obstinément
Et donc les fruits ont peu à peu
L’amère saveur de la liberté      David DIOP

Mais l’Afrique, c’est pour moi d’abord Joal, et Joal, c’est Jean-Marie, à qui je laisse la parole.

 

À TOI, AMI LOINTAIN

Mes amitiés, ma tendresse, mon affection, ma gratitude, mon amour ou mes répulsions, je préfère me réserver le privilège de les cultiver dans un coin de mon jardin intérieur, comme dans un tabernacle, par scrupule et par pudeur. Mais voilà qu’il s’agit d’un message à tous les amis de l’autre rive, je me surprends à déroger à la règle. En effet, j’estime qu’aujourd’hui plus que jamais, le monde a besoin de promouvoir la compréhension mutuelle des peuples. La voie la plus rapide pour y parvenir, c’est d’offrir à l’homme de la rue, comme on dit, l’occasion de prendre conscience des problèmes qui nous assaillent, qui assaillent du moins nos semblables. Une fois que l’homme de la rue aura jeté un regard concret sur les conditions de vie de ses frères d’au delà les frontières, sur leurs luttes quotidiennes pour la vie, avec les échecs et les victoires qui les accompagnent, il commencera à se rendre compte tant de l’unité que de la multiplicité de la nature humaine.

C’est à comprendre que l’étranger, quelle que soit son apparence extérieure, n’est pas seulement un étranger, mais en dernière analyse digne de sympathie et de considération.

Partant de là, je sens que je dois approfondir mon analyse de l’homme de la vie, de l’homme de la société d’aujourd’hui. Au delà de moi-même, de ce qui peut m’apparaître cher sentimentalement et nécessaire pratiquement, de ce qui peut m’attirer et mieux me distraire, il y a les autres. Les autres sont très importants, c’est la chose la plus importante : les hommes qui vivent autour de nous, comment vivent-ils ? Vont-ils bien, souffrent-ils, et pourquoi ont-ils mal, pourquoi souffrent-ils ? Rien de ce qui arrive autour de nous ne nous est étranger, dans la mesure où nous sommes hommes, une partie de l’humanité.

Voilà des sources fascinantes, intarissables, fondamentales, sources d’inspiration, de méditation, d’activités créatrices telles qu’elles devraient l’être pour tout homme conscient de ses responsabilités vis à vis de ses semblables.

Je ne puis terminer ce message de réflexions amicales sans souligner l’importance de la vie, de la réalité, de l’homme, et de l’intérêt continu que suscitent les hommes dans leur vie sociale. Soyons tous continuellement conscients de l’exigence de la présence humaine et sociale, pour moi décisive et dominante.

Jean-Marie, à Joal, Sénégal, en 1984

La passerelle qui joint Joal à Fadiouth, appelés „rue de l’amour“. Et les jeunes filles et les garçons du Sine Saloum chantent pour nous, dans un village du delta, en mars 1984 (caler le curseur sur + 1 minute).

JOAL

Joal !
Je me rappelle.
Je me rappelle les signares à l’ombre verte des vérandas
Les signares aux yeux surréels comme un clair de lune sur la grève.
Je me rappelle les fastes du Couchant
Où Koumba N’Dofène voulait faire tailler son manteau royal.

Je me rappelle les festins funèbres fumant du sang des troupeaux égorgés
Du bruit des querelles, des rhapsodies des griots.
Je me rappelle les voix païennes rythmant le Tantum Ergo.
Et les processions et les palmes et les arcs de triomphe.

Je me rappelle la danse des filles nubiles
Les choeurs de lutte- oh ! La danse finale des jeunes hommes, buste
Penché élancé, et le pur cri d’amour des femmes – Korsiga !

Je me rappelle, je me rappelle …
Ma tête rythmant
Quelle marche lasse le long des jours d’Europe où parfois
Apparaît un jazz orphelin qui sanglote, sanglote, sanglote.

Léopold Sédar Senghor

Joal, je me rappelle un gros bourg vivant bien de sa pêche et de ses cultures maraîchères. Nous, les trois Jean, étions généreusement invités dans pratiquement toutes les familles, dans le bourg même et aussi sur l’île de Fadiouth que l’on rejoignait au bout de cette longue passerelle appelée „rue de l’amour“, où la population se promenait le soir pour se rafraîchir au vent marin et „poser des jalons“ avec les personnes du sexe opposé. Premiers moments en Afrique gravés à tout jamais, temps de l’amitié, de la découverte, des premiers émerveillements. Nous nous régalions de tiboudiem, plat de poisson, de mafé, ragôut de boeuf à la pâte d’arachide, ou encore de poulet yassa, au citron vert. Et souvent, les trois à la suite, et pas question de refuser une invitation ! J’ai rarement aussi bien mangé qu’au Sénégal. C’était comme Senghor l’écrit dans son poème : tout était prétexe à faire la fête, ici et plus loin avec Africa n°1 :

Joal, c’était donc un port de pêche prospère : de grandes pinasses partaient chaque matin à la conquête de l’océan et revenaient à midi pleines à raz bord de poissons qui étaient séchés et fumés sur place, empaquetés et chargés sur de gros camions qui partaient dans tout le Sahel.

Aujourd’hui, la pêche nourrit à peine les familles, tuée par les filets traînants des chalutiers européens principalement et qui détruisent tous les écosystèmes marins sur leur passage (merci l’UE)! Et selon le NYT, tout ce poisson ainsi pêché sert à fabriquer … de la farine de poisson qui servira à nourrir … les saumons d’élevage de Norvège et d’Écosse dans d’immenses fermes marines qui les entassent et les confinent par dizaines de milliers, provoquant la prolifération de parasites qui nécessitent l’usage massif d’antibiotiques. Cette farine est transportée par bateau, et on y ajoute de l’ethoxiquine pour éviter qu’elle ne pourrisse et provoque ainsi l’explosion du bateau. Chaque pavé de saumon, en plus d’antibiotiques, contient de ce fait 0,04 gr. de cette substance toxique évidemment pas vraiment excellente pour la santé du consommateur.  De plus, ces saumons sont ensuite expédiés en Pologne pour y être méfus et conditionnés, bonjour le bilan carbonne ! Et ces jours-ci, un autre reportage sur le Sine Saloum nous montre que l’élévation du niveau de la mer entraîne une augmentation de la salinité des eaux et des terres qui tue la mangrove, et toute la vie dans le delta. La boucle est ainsi bouclée : Joal se meurt, bientôt le village de Léopold ne sera plus.

Les jeunes du Sine Saloum sont ainsi forcés à l’émigration, comme des milliers d’autres de par le monde. Et quand ils arrivent chez nous, nous n’en voulons pas, „ne pouvant accueillir toute la misère du monde“ que nous contribuons à provoquer par une mise en coupe, un pillage systématique qui ne sert que les intérêts des entreprises internationales et de leurs actionnaires, et dont nous sommes les premiers responsables. Combien de tonnes de poissons sont-elles rejetés à la mer chaque année, 700 000 ? Et combien de migrants ? On oublie trop souvent qu’avant de périr en mer, ils ont traversé un désert, sont tombés dans les mains des milices lybiennes, ont été réduits en esclavage ou „racompagnés“ au désert. Qui subventionne ces milices pour faire le sale boulot à notre place ? Que vont devenir les 70 millions de déplacés de par le monde ? Finir dans des camps, ou se perdre sur les routes de l’exil ?

J’ai pris ensuite la route vers le nord pour rejoindre Bakel, sur les bords du fleuve Sénégal, à la frontière avec la Mauritanie. J’allais rejoindre mes anciens étudiants de Sandö, les jeunes experts suédois travaillant sur un projet de reforestation. Là, des chefs de village m’ont dit : „il n’y a plus d’hommes jeunes ici, partis trouver la pitance de leurs familles sur la côte, ou en Europe. Nous nous cotisons pour en envoyer 10 ou 20, pour avoir la chance qu’un seul arrive et nous nourrisse, en retour d’investissement. Déjà. C’était il y a plus de 30 ans. Et plus loin, vers Podor et St Louis du Sénégal, d’immenses étendues ont été confisquées aux pasteurs pour la culture de plantes industrielles pour le carburant „propre“ de „nos 4×4, ou de céréales pour régler une partie des problème d’approvisionnement de la populatin chinoise (300 hectares en Beauce dernièrement aussi, alors …). Rappelons pour mémoire que 27% des terres cultivées dans le monde le sont pour produire la nourriture jetée chaque année.

Mais aussi cette information : les 300 000 sénégalais de France auraient envoyé 490 000 euros en 2014 pour financer des projets de développemet ciblés, durables, honnêtes car contrôlés par la population : écoles, hôpitaux, routes, réseaux de téléphonie, micro crédits, aides à la fondation ou la pérénisation et renforcement de PME … Là où l’aide internationale lourde, dévoyée et corrompue, a échoué (pas pour tout le monde, des générations d’experts en tous genres propèrent), la société civile y pourvoit. Je crois que c’est autour de 30 milliards par an qui sont transférés par les migrants du monde vers leurs pays d’origine (à vérifier). Irrigation n’est pas arrosage. „Tout ça pour ça !“, se moquait un paysan burkinabé en me montrant la délégation d’experts en goguette (je pèse mes mots) et la poignée de graines qu’il avait reçu dans le cadre du projet.

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Réunion de femmes pour promouvoir un type de fourneau spécial permettant d’économiser plus de 50% de bois de chauffe, denrée oh ! combien rare dans cet écosystème saturé, d’où la déforestation, d’où l’avancée du désert, le déplacement de populations, les périodes de famine. Lutte déjà entre populations nomade, les pasteurs, et sédentaire, les agriculteurs.

Et la danse est au rendez-vous, comme toujours en Afrique, pour ponctuer la séance de vulgarisation.

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Et de bons souvenirs encore grâce au déjà célèbre à l’époque Youssou n’Dour :

 

L’année suivante, le voyage sur une grande partie de la boucle du Niger confirmera les pires prévisions : une famine qui tuera plus d’un demi million de personnes, des enfants surtout, entre Gao et Bamako.