Tout commence par des livres, et il en est que l’on regrette de refermer. Alors on traîne une journée entière, ou deux, dans un no man’s land psychologique, dans une mélancolie indéfinie, on flotte entre deux eaux sans savoir quoi faire d’autre que rêvasser au temps qui passe, rapide, à notre jeunesse enfuie. Le Projet Blumkine, de Christian Salmon, est de ceux-là. Et puis, on se dit que l’on peut toujours y revenir, les rouvrir, en reprendre la lecture et c’est ce que j’ai fait, car ce livre m’a touché à plus d’un titre, me renvoyant à plusieurs époques de ma vie : celles au cours desquelles je me suis plongé avec passion dans les livres relatant la période de l’histoire russe allant de 1905 à … 1953, et celle où il m’a été offert de connaître une infime parcelle de cet immense pays. Ce livre nous fait entrer dans une vie riche, et partager le voyage entrepris par l’auteur à la recherche des traces de ce personnage légendaire : Odessa, Moscou, Istanbul …, nous faisant par la même occasion deviner son voyage intérieur. Il a l’avantage d’être bien documenté et de comporter de nombreuses citations d’ouvrages généreusement nommés, car pourquoi redire moins bien ce que d’autres ont dit mieux que nous ? Il est écrit comme un documentaire doublé d’un reportage. Et je me suis rendu compte que, quoique pensant assez bien connaître la litérature russe de cette période, j’avais encore pas mal à lire pour combler mes lacunes. Et c’est tant mieux, car c’est toujours une belle expérience, de belles émotions en perspective. Je vais bien entendu m’abstenir de le raconter ici. Je me contenterai d’en citer quelques phrases de la fin : „C’est pourquoi ce livre est sans doute aussi le récit d’un échec : celui d’une génération, la mienne, qui voulait changer le monde“. Je peux la reprendre à mon compte. Et il se termine par ces phrases : „ La nuit tombe. / Dehors, l’orage gronde, l’orage du dehors. / Pourquoi écrit-on des livres, sinon pour mener une vie plus réelle ? Joinville-le-Pont, 15 mai 2017 „.
Pour ma génération, la Russie s’appelait L’URSS, Union des Républiques Socialistes Soviétiques, et recouvrait un vaste ensemble dominé par un régime totalitaire appelé stalinisme, qui s’est effondré sur lui-même et par lui-même, conséquence de l’usure inéluctable de tels régimes due au maintien d’une répression telle qu’elle finit par se retourner contre ses auteurs, et à la corruption généralisée qui l’accompagne. Mais elle est due aussi, à mon avis, à l’invasion par ses troupes d’un petit pays courageux qui a tenu tête au géant aux pieds d’argile, et aux différents peuples des républiques qui se révoltaient à intervalles plus ou moins réguliers, accélérant sa décomposition. On a envie de citer la réplique d’un personnage du livre de Vassili Grossman, Pour une juste cause, celui qui précède son monumental Vie et Destin, et qui peut s’appliquer à tout régime totalitaire : deux soldats russes se désespèrent de l’avancée des troupes hitlériennes que rien ne semble pouvoir stopper : – Quand s’arrêteront-ils, jamais ? demande le premier. Et l’autre lui répond : – Bien sûr que si, car ils ont déjà plus de 7000 km dans leurs bottes aux semelles usées, les chenilles de leurs chars, les moteurs de leur véhicules, et les pièces de rechanges, la logistique, qui ne suivent pas. L’usure parviendra à faire ce que nous sommes pour le moment incapables de faire „ (je cite de mémoire, ce ne sont pas là les mots exacts). Et la bataille de Stalingrad a suivi, l’héroïsme du peuple russe, l’usine Octobre Rouge et l’usine des tracteurs où la production de blindés ne s’est jamais arrêtée, et d’où ils sortaient directement pour aller au front, à quelques mètres de là, les caves où tous se terraient, combatants séparés par un mur, population qui partait au travail chaque matin, le point névralgique où se faisait la traversée de la Volga, … Ce livre, Vie et destin, nous emporte au coeur de la guerre, on ne peut y penser sans être pris de frissons, sans revivre les histoires de tous ces personnages. Et il se termine par un passage empreint d’une émotion rarement égalée :
Le silence dans la forêt venait de ce que la lumière, arrêtée par les ramures, ne faisait plus de bruit mais enveloppait précautionneusement la terre.
Ils marchaient toujours en silence, ils étaient réunis et c’était pour cette raison que tout était si beau autour et que le printemps était arrivé.
Ils s’arrêtèrent d’un même mouvement. Deux gros bouvreuils étaient perchés sur une branche de sapin. Leurs poitrines rouges ressemblaient à des fleurs sur une neige ensorcelée. Étrange, étonnant était le silence en cette heure.
Il contenait le souvenir des feuillages de l’an passé, des pluies d’automne, des nids construits et abandonnés, de l’enfance, du travail ingrat des fourmis, de la perfidie des renards, de la guerre de tous contre tous, du bien et du mal nés en un seul coeur et morts avec ce coeur, des orages et des tonnerres qui avaient fait frémir les pins et le coeur des lièvres. La vie écoulée – joie des rendez-vous amoureux, bavardage incertain des oiseaux en avril, rencontres avec des voisins d’abord étranges, puis devenus familiers – dormait sous la neige, dans la froide pénombre.
Dormaient les forts et les faibles, les audacieux et les craintifs, les heureux et les malheureux. C’était le dernier adieu, dans la maison vide et abandonnée, à tout ce qui était mort et parti pour toujours.
Mais on sentait le printemps avec plus d’acuité dans la forêt que dans la plaine éclairée par le soleil.
Dans le silence de la forêt, la tristesse était plus forte que dans le silence de l’automne. On entendait dans son mutisme les morts qu’on pleure et la joie furieuse de vivre …
Il fait nuit encore, et il fait froid, mais encore un instant et les portes et les volets s’ouvriront, la maison déserte revivra, s’emplira de pleurs et de rires d’enfants, résonnera des pas pressés de la femme aimée, du pas assuré du maître de maison.
Ils restaient immobiles tenant leur cabas à la main, et ils se taisaient.
Je l’ai lu peu après mon arrivée ici en Suisse, de même que Une Saga moscovite de Vassili Axionov (Les Oranges du Maroc), ou encore Histoire d’un homme inconnu, Au temps du fleuve Amour d’Andrei Makine. C’était une époque bénie de la vie, celle où un père passe deux années à la maison à assurer le bon déroulement des opérations internes, pas seul, loin s’en faut, l’épouse qui prend son tour de garde sur le marché du travail est là aussi …, et nous en avons tous bien profité, moi le premier : une fois les gestes nécessaires accomplis, il pouvait régner dans l’appartement une paix royale, chacune et chacun vaccant à ses occupations, et je pouvais alors me plonger complètement dans ces saga. Mais c’est à mon arrivée en Suède – premiers vrais hivers, mer Baltique prise dans les glaces, grands brise glace amarrés à quai et prêts à s’élancer vers l’est, en direction de la ville qui s’appelait alors Léningrad – que j’ai découvert ce pays et cette époque si forte, si folle aussi qui a fasciné une partie de ma génération : Victor Serge bien sûr, la référence à mon sens, le meilleur connaisseur puisqu’il en avait été l’un des principaux acteurs : Mémoires d’un révolutionnaire, L’affaire Toulaev, Des hommes dans la prison. Bulgakov ensuite avec La Garde blanche, Vita Gardet en suédois, Mémoires d’un médecin de campagne, Écrits sur les manchettes, Les Oeufs fatidiques et leurs mystères, sans oublier Le Maître et Marguerite, que Christian Salmon éclaire à la fin de son livre d’une lumière nouvelle pour moi. Pasternak, Pilniac, Zamiatine nous plongeaient eux aussi dans la vie de ces femmes et de ces hommes courageux qui avaient osé la risquer pour une révolution qui a fini par les broyer dans une répression impitoyable qui nous est racontée dans les Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov et où l’on retrouve tous les héros rencontrés dans Le Projet Blumkine, les Platonov, Mandelstam et autres résistants, poètes combattants poursuivis et massacrés par Staline. Et naturellement Soljénitsine que j’ai à peine lu, si ce n’est Une journée d’Ivan Denissovitch. Il faut dire que Dix ans au pays du mensonge déconcertant, d’Ante Ciliga ne laissait déjà aucune illusion en nous plongeant dans l’univers glacé mais aussi terriblement humain de cet enfer carcéral.
Si c’est par les livres donc que ce pays m’a fasciné, et le livre de Christian Salmon est venu à propos me le rappeler, rien cependant n’indiquait que je m’y rendrais un jour. Et c’est un livre qui n’était pas encore écrit, enfin, un manuel d’apprentissage du français des affaires et de la communication professionnelle, qui m’a donné l’occasion de m’y rendre, sur invitation de l’Ambassade de France de surcroît : à mon retour de Suède, j’avais donc trouvé un poste dans cette petite école qui proposait des formations en français appliqué à de jeunes adultes étrangers, suisses pour la plupart, de vraies formations très bien conçues pour faire aimer notre langue, notre culture, notre pays, dont la région capitale, et les préparer entre autre aux examens de la CCIP. Nous avions imaginé, avec une collègue et le directeur, de les plonger dans une simulation globale les faisant „vivre“ en classe les différentes étapes de la création et du fonctionnement d’une entreprise virtuelle qu’ils concevaient eux-mêmes, créant ainsi les actes de communication correspondant à chaque étape du processus. L’idée était dans l’air du temps, mise sur orbite par le CIEP, le Centre International d’Études Pédagagiques de Sèvres, des projets avaient déjà vu le jour, Le Cirque, l’Immeuble, et d’autres étaient en préparation, comme l’Hôtel, la Conférence Internationnale. Nous arrivions à point nommé avec le nôtre. J’avais testé la démarche en Suisse, à Villars-sur-Ollon, où, quatre hivers d’affilée, trois mois durant, j’animais un stage de français du tourisme pour une vingtaine d’étudiantes suédoises, cours et stage en entreprise touristique en alternance. Ah ! Les beaux hivers sur les alpages recouverts d’un blanc manteau, et les belles glissades sur des planches qui ont fini par, enfin, rester parallèles … Il s’agissait donc de leur faire produire un projet touristique complet, global, d’où l’appellation et l’inscription dans cette série des „simulations globales“. C’était nouveau, cela venait de sortir, et la demande était grande. Nous nous sommes engouffrés dans la brèche et nous sommes attelés à la rédaction des chapitres, bien encadrés dans cette tâche par les gens du CIEP, qui en même temps nous faisaient profiter de leurs, on s’en doute, solides réseaux à l’étranger. J’ai ainsi été invité à présenter la méthode à Leipzig qui s’ouvrait pour ainsi dire tout juste à l’influence de l’ouest, nous étions quelques années après la chute du mur, pour y retourner par la suite animer trois semaines durant une simulation à 150 étudiants, 5 entreprises virtuelles et une administration municipale, du lourd … Mais avant cela à Moscou, alors que le livre n’en était qu’à sa conception. Une conseillère pédagogique particulièrement inspirée, sur d’autres questions aussi par ailleurs, comme l’interculturel, avait convaincu le premier secrétaire de l’ambassade de financer une mission d’une dizaine de jours. C’est ainsi que je me suis retrouvé dans la capitale russe pour initier les enseignants de l’Institut d’économie et de géopolitique, GMBO ou quelque chose comme cela, à la pédagogie des simulations globales appliquée à la création d’entreprise en économie libérale. Nous étions en 1995. Un monde complètement nouveau et un accueil plus que chaleureux de la part de la représentante de l’ambassade et des collègues russes, j’étais à moi seul une délégation et traité comme tel : logement en appartement – j’ai été tout de suite frappé aux narines par l’odeur de chou qui régnait dans les cages d’escalier des immeubles d’habitation -, invitations, visites de la ville après les heures passées dans cet institut où les enseignants se rendaient à vélo où dans des bus dignes de l’époque soviétique, et les étudiants en limousines avec chauffeur, enfin pas tous, certains sans. Une des enseignantes venant de Nijni Novgorod me demande si je veux bien aller dans son université pour tester la méthode avec ses étudiants, et me voici avec un guide privé, un étudiant, dans un train russe en route pour la ville qui s’appelait Gorki auparavant, la ville des marchés, de Gorki donc, Alexandre Dumas s’y était rendu à plusieurs reprises. Train luxieux s’élançant dans la nuit de mars, pullman avec samovar, dîner servi dans le compartiment, je me la pète, je suis dans le train blindé de Troski fonçant dans la nuit sibérienne combattre les armées blanches. Le matin, au réveil, le train est arrêté dans une immense zone qu’on me dit être la plus grande usine chimique de Russie, paysage à la Stalker, le film de Tarkovskij qui préfigure l’après grande catastrophe : friche industrielle d’où s’échappent des fumerolles aux couleurs douteuses, un vieil homme sur une charette tirée par un cheval famélique, bâtiments en quasi ruine, espaces couverts d’une neige sale, et encore ici et là des tuyauteries bizarres qui lancent vers le ciel leurs bras démantelés, cela ne s’arrête pas, c’est immense comme une ville rasée par une bombe, le train repart doucement, et nous mettons une bonne heure pour sortir de cette zone. Arrivée vers midi à la gare de Nijni, dans la ville basse et industrielle (Mig, automobiles) et montons en taxi dans la vieille ville haute qui domine l’immense Volga, son Kreml (forteresse) et ses vieilles maisons de bois, ses façades d’un jaune sale, et plus loin, l’université où je suis attendu comme un sauveur. Nous réalisons dans les jours qui viennent trois simulations ( un élevage d’esturgeons conçu comme une entreprise auto gérée, production durable et dans les normes bio, … un centre culturel russe à Lausanne pour fonder un échange culturel juste (!), et un organne de presse organisé dans le but de produire une information non poluée) dans un enthousiasme qui en dit long sur l’attente de cette jeunesse de sortir enfin du système qui a lessivé quatre ou cinq générations et de se lancer dans la libre entreprise, de réaliser ses rêves entrepreneuriaux, mais peu encline à faire aveuglément confiance au nouveau régime. Le soir, je suis invité à des concerts, les deux premier rangs de l’orchestre occupés par d’énormes cosaques en grande tenue, sabre dans une main et bouteille de vodka dans l’autre. Une matinée, la directrice du musée m’en ouvre les portes pour une visite privée, interprète en prime. Retour à Moscou par un train normal cette fois. Invitation au Bolchoï, qui n’est plus ce qu’il avait été, mais je trouve que ça tient encore drôlement la route. Et au musée Pouchkine, orgie d’art, de tableaux, à droite les russes, à gauche les français, ou bien une salle russe, une salle française, en alternance. Et tout à coup, le trou, le vide :“tiens, ils en ont décroché un ?“ Retour sur l’emplacement, mais non mais c’est bien sûr, le carré blanc sur fond blanc de Malévitch, j’ai bien failli le manquer. Il est plaisant par ailleurs de noter que Kasimir Malevitch dans „La Paresse comme vérité effective de l’homme“ s’engage sur une question importante en écrivant: „Le travail doit être maudit, comme l’enseignent les légendes sur le paradis, tandis que la paresse doit être le but essentiel de l’homme. Mais c’est l’inverse qui s’est produit. C’est cette inversion que je veux tirer au clair“. Et d’autres invitations chez les collègues ont suivi: les fameux mélanges russes champagne plus cognac, parfois il faut s’accrocher, quand même. Je découvre au Kremlin les icônes peintes il y a plus de cinq siècles par le moine Andreij Roublev, et me souviens du film de Tarkovskij dont il est l’éponyme qui m’avait fortement impressionné en 1969, et que l’ambassade russe avait fait retirer des écrans parisiens juste après. Le jour de mon départ pour Paris, on me fait savoir que le premier secrétaire de l’ambassade souhaite me rencontrer. Il me remercie de ma prestation, et me présente au conseiller militaire, excusez du peu, qui souhaite me présenter à Paris à une directrice d’une de ces agences qui grenouillent aux basques de l’état, pour lui présenter notre méthode dans le but de former à la gestion d’entreprise quelque 100 000 officiers supérieurs de l’ex armée rouge qu’il leur faut recaser dans le civil. Cent mille !!! Il me demande si le job m’intéresse, mais non merci, j’ai ce qu’il me faut pour nourrir ma famille. L’année suivante, l’ambassade nous demande d’accueillir en stage 20 profs de Russie, et l’année suivante encore 20, en alternance entre stage en entreprise et cours de pédagogie à notre école, qui excelle dans ce genre d’exercice.
Ces séjours furent l’occasion d’inviter ces enseignants à des dîners à la maison, et de découvrir la haine envers le peuple tchétchène qui les habitait. Nous étions à l’époque des guerres de Tchétchénie, véritable génocide perpétré par l’armée russe contre ce peuple qui avait déjà dû lutter pour sa survie lors des guerres du Caucase à la fin du XIX°, le premier jihad de l’histoire, racontées dans le puissant livre du suisse Eric Hoesli „À la conquête du Caucase“, et d’où remonte cette haine séculaire envers ce peuple, les „bandits tchétchènes“, et d’autres qui ont toujours résisté à la domination russe. La première de ces guerres s’était soldée par le cuisant échec de ce qui restait de l’armée dite rouge, les stratèges du Kremlin ayant oublié la leçon de Stalingrad: on n’entre pas dans une ville avec des colonnes de blindés, particulièrement vulnérables par les rues adjacentes, car aveugles à ce qu’il se passe sur leurs flans. Alors, un encore jeune colonel de l’ex KGB était venu y mettre bon ordre en faisant éliminer le leader charismatique Chamaïev par l’envoi d’un missile téléguidé grâce à son téléphone satellitaire, la destruction de Grozni rasée sous les bombes précédant la mise en place d’un régime fantoche féroce tortionnaire de son propre peuple. On apprenait par la même occasion que le point névralgique où toute la vie de la capitale des tchétchènes se concentrait était la maternité de l’hôpital central où les femmes faisaient des bébés… Cet écrasement d’un peuple par les mêmes moyens que plus d’un siècle auparavant (d’abord on négocie: soit vous êtes avec nous, soit nous brûlons tout, torturons à mort, violons les femmes… exactement comme l’armée de Bugeaud en Algérie avec l’enfumage des tribus berbères dans les grottes où elles s’étaient réfugiées, et toutes les armées des conquêtes coloniales, c’est bien celà que l’on appelle la mission civilisatrice de la colonisation …) allait marquer le début de la résistible ascension de Poutine après la mise à l’écart de l’ivrogne en place, le même qui aujourd’hui détruit l’Ukraine qui lui résiste, après toute une série de peuples courageux (Daghestan, Ossétie, Ingouchie, Abkazie, puis la participation décisive de son armée dans la destruction de la Syrie, la Libye, aujourd’hui au Sahel avec l’envoi de la division Wagner), sans oublier la résistance du peuple russe durement réprimé. 20 ans déjà, et on semble le découvrir maintenant qu’il s’en prend à un pays au coeur de l’Europe, à nos portes. Et comme l’Afganistan fut le début de la fin de l’URSS, cette guerre d’Ukraine sera la tombe de Poutine et de sa clique. Le destin de l’humanité est entre les mains de la résistance ukrainienne. Et russe.
En conclusion provisoire : moi qui m’étais un jour rêvé non pas en révolutionnaire, et encore moins en bolchevik – puisque c’est bien le parti du même nom qui a liquidé l’idéal révolutionnaire des soviets, et partant la révolution – , mais du moins changer le monde, me suis retrouvé à former des profs russes aux joies de la libre entreprise en économie libérale. Pas vraiment reluisant, mais bon … il reste les livres, qui nous font rêver, comme Le Projet Blumkine, et les autres. Et personne n’a à ce jour affirmé que la libre entreprise constituait un recul, une régression en soi au régime qui a tenu dans un carcan de fer, affamé et torturé les peuples qui l’avaient porté au pouvoir et ce durant plus de 70 ans.
Plus sérieusement : à l’automne 1933, Ossip Mandelstam compose un bref poème de seize vers, une Épigramme contre Staline, Le Montagnard du Kremlin :
Nous vivons sourds à la terre sous nos pieds,
À dix pas personne ne discerne nos paroles.
On entend seulement le montagnard du Kremlin,
Le bourreau et l’assassin de moujiks.
Ses doigts sont gras comme des vers,
Des mots de plomb tombent de ses lèvres.
Sa moustache de cafard nargue,
Et la peau de ses bottes luit.
Autour, une cohue de chefs aux cous de poulet,
Les sous-hommes zélés dont il joue.
Ils hennissent, miaulent, gémissent,
Lui seul tempête et désigne.
Comme des fers à cheval, il forge ses décrets,
Qu’il jette à la tête, à l’œil, à l’aine.
Chaque mise à mort est une fête,
Et vaste est l’appétit de l‘Ossète.
Wikipedia nous dit : Mandelstam reçoit la visite de trois agents de la Guépéou dans la nuit du 16 au 17 mai 1934, au no 5 ruelle Nachtchokine, appartement 26. Ils l’arrêtent et perquisitionnent le domicile grâce à un mandat d’arrêt signé de Guenrikh Iagoda. Son épouse racontera cette nuit dans ses Souvenirs3. Dans un poème de ces années-là – L’appartement, silence de papier –, il écrit : « Si minces, les maudites parois, / Plus d’issue nulle part »B 1. Akhmatova est présente. Elle pourra ainsi témoigner de cette nuit des spectres. Mandelstam quitte sa femme et ses amis à 7 heures du matin pour la LoubiankaB 2. Tous les manuscrits sont confisqués, lettres, répertoire de téléphone et d’adresses, ainsi que des feuilles manuscrites, quarante-huit au totalA 1.
Cette épigramme sera plus tard cataloguée comme « document contre-révolutionnaire sans exemple » par le quartier général de la police secrète[réf. nécessaire]. Pour Vitali Chentalinski, c’était « plus qu’un poème : un acte désespéré d’audace et de courage civil dont on n’a pas d’analogie dans l’histoire de la littérature. En réalité, en refusant de renier son œuvre, le poète signait ainsi sa condamnation à mort. Était-ce le désespoir seul qui faisait bouger sa main ? Ou l’incapacité de feindre, de mentirA 2 ? » Cependant, Staline n’a pas eu connaissance de ce « poème terroriste »4.